Marie-Joseph Lagrange († 1938)
Il semble que l’idée d’établir une École consacrée à l’Écriture Sainte et confiée aux dominicains à Jérusalem même, vienne du père Matthieu Lecomte qui l’avait, selon une pieuse tradition, reçue de Léon XIII en 1883. Conscient des difficultés de fonder une telle institution, le maître de l’ordre Larroca écrit aux provinciaux. Celui de Toulouse propose le père Marie-Joseph Lagrange qui étudie alors les langues orientales à Vienne, en Autriche. Avec courage, le père Lagrange ouvre le 15 novembre 1890, presque sans moyens ni personnel, une École » pratique » des études bibliques.
L’année suivante, il lance la Revue biblique, puis commence la collection des Études bibliques. La visée est claire : renforcer par la recherche exégétique et archéologique ce qu’on appelle alors » la science catholique « , afin de mettre les catholiques au niveau de leurs collègues protestants ou incroyants en ce domaine central de la Révélation. Comme l’écrira ensuite le père Lagrange : » La foi étant sauve, pourquoi le travailleur catholique ne chercherait-il pas simplement la vérité, avec autant d’ardeur et, s’il se peut, autant de compétence que les autres f ..J et, inébranlable dans sa foi à cause de l’autorité divine, n’aborderait-il pas résolument des problèmes que la théologie ne résout pas ? » On voit ici l’enracinement dominicain dans la recherche de la vérité, l’assurance dans la foi et la confiance dans la raison à l’intérieur de ses propres limites.
Mais, avec le pontificat de Pie X, les intellectuels- ce terme est alors forgé – vont traverser dans l’Église une période difficile à cause des audaces modernistes. Le père Lagrange est pris dans la tourmente de la suspicion. La question essentielle tourne autour de l’inspiration et de l’inerrance de l’Écriture : quel sens leur donner ? Doit-on aller jusqu’à suivre Alfred Loisy et ses mises en doute, ou bien s’en tenir à la littéralité, voire au fondamentalisme proposés par les plus conservateurs.
Les travaux du père Lagrange comme sa Méthode historique, son commentaire de la Genèse, et même, lorsqu’il renonce à publier sur l’Ancien Testament, son livre sur l’évangile de saint Marc, sont suspectés. Mais sa réaction sera à chaque fois claire et honnête. Il écrit à Pie X lui-même, le 17 août 1912 : » Mon premier mouvement a été, et mon dernier mouvement sera toujours, de me soumettre d’esprit et de coeur, sans réserve. » Mais il pose douloureusement la question des raisons d’une telle sévérité. Cette obéissance héroïque permet d’éviter à ses ouvrages la réprobation de l’Index. Le père Lagrange quitte Jérusalem deux mois après.
Grâce aux interventions du père Cormier, maître de l’ordre, le père Lagrange, après avoir été reçu par le Pape, put y revenir l’année suivante. Il y reprit son travail, après les aléas de la Première Guerre mondiale. Les difficultés, les désillusions ne manquèrent pas, avec encore des soupçons qui pesèrent sur lui au-delà même de son retour en France, à Saint-Maximin. Mais son oeuvre de commentaire des évangiles et surtout sa synthèse, destinée aux non-spécialistes, L’Évangile de Jésus Christ, témoigne éloquemment de sa fidélité à la foi catholique. (Source : Quilici, Alain; Bedouelle, Guy. Les frères prêcheurs autrement dits Dominicains. Le Sarment/Fayard, 1997)