Bienheureux Hyacinthe-Marie Cormier († 1916)

De faible santé au point de faire d’ardentes neuvaines pour pouvoir faire profession et d’y être finalement admis par miséricorde – et presque comme un dernier sacrement – sur l’avis du pape Pie IX qui avait été consulté, Hyacinthe-Marie Cormier vécut jusqu’à quatre-vingt-quatre ans, et fut élu maître de l’ordre à celui de soixante-douze. Il avait une expérience peu commune du gouvernement dominicain.

En effet, en raison de la confiance que lui fit, dès le début de sa vie dominicaine, le père Jandel, alors maître de l’ordre, le père Cormier fut placé très vite dans des situations de responsabilité. Alors même qu’il n’était pas profès solennel, mais déjà prêtre, il fut sous-maître des novices en Italie. Il est ensuite maître des novices et prieur en Corse, artisan de la nouvelle province de Toulouse, puis son provincial nommé à trente-trois ans. De 1865 à 1891, il est supérieur sans discontinuer provincial pour deux termes, prieur conventuel à Marseille, réélu provincial, deux fois prieur à Toulouse et une fois à Saint-Maximin.

Ensuite, il passe aux responsabilités de l’ordre tout entier, comme assistant du maître de l’ordre, le père Frühwirth, puis procureur général, c’est-à-dire chargé des relations avec les congrégations romaines, et enfin, en 1904, au chapitre de Viterbe, supérieur général.

Le père Cormier dut affronter des événements difficiles, spécialement en France et en Italie où les tensions entre l’Église et l’État prirent parfois des allures de guerre civile dont les religieux firent, les premiers, les frais. Vinrent ensuite, ou parfois en même temps, les difficultés au sein même de l’Église avec la crise moderniste, ou comme on dit maintenant, anti-moderniste. Le père Cormier, de tempérament plutôt traditionnel, dut défendre avec force ses religieux, en particulier le père Lagrange qu’on accusait d’infidélité à la doctrine de l’Église dans son exégèse. Le père Hyacinthe-Marie sut plaider sa cause devant les attaques – tout en le modérant lui-même – et jouer de la grande estime que lui portait le pape Pie X, pour obtenir un sursis ou retarder une désapprobation. Le père Lagrange n’a-t-il pas déclaré plus tard que le père Cormier était un exemple de sainteté ?

Précisément, puisqu’on lui confiait cette tâche de gouvernement, c’est comme supérieur que le père Cormier a su déployer cette sainteté. Notons d’abord que, dès son entrée dans l’ordre, et ensuite avec ses supérieurs, il agit avec une sincérité, une simplicité et aussi un abandon qui n’exclut nullement l’intelligence et l’action. Une de ses lettres au père Jandel illustre fort bien cela, même si les termes s’expliquent par les liens d’affection et d’admiration qui existaient entre les deux religieux. En 1867, alors qu’il est premier provincial de Toulouse et pense manquer d’expérience, le père Cormier écrit au maître de l’ordre :  » Rien en moi ne vous est caché. Je suis prêt à entrer dans toutes vos vues [..] et, si comme d’habitude vous me laissez dans l’application une certaine latitude, j’en userai comme par le passé, sauf à vous en référer et à rectifier les points où je me serai trompé. « 

 » Une certaine latitude « … voilà ce qui caractérise bien les relations d’obéissance dans l’ordre dominicain : une obéissance d’adulte. Pourvu que les choses soient vécues dans la loyauté, un religieux peut agir selon sa prudence, éventuellement en demandant conseil, et rendre compte ensuite à son supérieur. De ce dernier on attendra, comme le père Cormier en a donné l’exemple, qu’il anime, rassemble, dialogue, s’informe, conseille et, quand il le faut, ordonne et se fasse obéir.

C’est ce que le père Cormier retient de la figure de saint Dominique et des saints dominicains ; et il tente de suivre leur voie dans ce qu’il appelait ses  » petits écrits « , sortes d’encycliques sans prétention où il traitait des problèmes de l’heure. S’il a réussi, c’est qu’il avait une haute idée de l’autorité dans l’Église et savait la vivre selon l’esprit du Christ disant aux disciples de ne pas  » commander en maîtres « . Toujours en position de faire sentir le poids de son autorité, il agissait avec une telle humilité qu’il désarmait les préventions et emportait l’adhésion, mettant à l’aise ses interlocuteurs tant il usait avec tact et bon sens de cette autorité. C’était sa manière de vivre sa devise :  » La charité de la vérité « , à tel point qu’il fit de cette prudence une sainteté que l’Église a reconnue en le béatifiant en 1994. Elle a ainsi proposé un modèle pour les supérieurs religieux, surtout chez les frères prêcheurs parfois si habiles à critiquer ceux qui tentent de les gouverner et qui, en fait, essaient de les servir, de les aider, et en ce sens de leur obéir. Mais dans l’ordre dominicain, les supérieurs savent qu’ils ne le seront pas toujours et devront de nouveau obéir, avec plus d’expérience et de compréhension. Meilleurs supérieurs ils auront été, plus obéissants ils seront par la suite.

(Source : Quilici, Alain; Bedouelle, Guy. Les frères prêcheurs autrement dits Dominicains. Le Sarment/Fayard, 1997)