Bienheureux Jourdain de Saxe († 1237)

Premier successeur de saint Dominique, Jourdain de Saxe a donné à l’Ordre une impulsion décisive. C’est l’un des témoins les plus prestigieux de la ferveur que suscita l’Ordre au XIIIe siècle.

Il était né vers 1190, en Saxe, dans la famille des comtes d’Eberstein. Dès sa jeunesse – et il continua quand il fut étudiant – il avait prit l’habitude de donner chaque jour une aumône au premier pauvre qu’il rencontrerait. Envoyé à Paris pour y prendre ses grades, il y mena une vie pieuse : chaque nuit il allait à Notre-Dame pour l’office de matines. En 1219 il est sous-diacre et bachelier en théologie. Les frères viennent de s’installer à Saint Jacques et sont dans un dénuement extrême. Saint Dominique les visite et les réconforte à son retour d’Espagne. Sa parole suscite l’enthousiasme dans le monde universitaire. Emporté par le courant, Jourdain vient l’entendre, se confesse à lui et lui confie son âme. Cependant il n’entre pas de suite dans l’Ordre. C’est au bienheureux Réginald qui, à son tour en 1220, bouleverse l’Université de Paris, que revient la joie de donner l’habit à Jourdain. Il ne le reçoit pas seul : son ami frère Henri de Cologne, et frère Léon, entrent avec lui au couvent de Saint Jacques, le mercredi des Cendres, au moment où les frères chantent « Immutemur habitu… »

Deux mois plus tard, saint Dominique réunit à Bologne le premier Cha pitre général de l’Ordre. Jourdain est l’un des quatre frères de Saint Jacques dési gné pour y prendre part. Quand il revint à Paris, ce fut pour enseigner l’Ecriture Sainte. En 1221, saint Dominique le nomme premier provincial de Lombardie et, quelques mois plus tard, il est élu par les frères pour succéder au Père qui vient de mourir. Il va gouverner l’Ordre seize ans pendant lesquels il attira à la suite de saint Dominique une multitude de vocations, étudiants et maîtres, « séduits » par sa parole. Tel jour, à Saint Jacques, il donne l’habit à vingt novices. Une autre fois, à Verceil, en quelques jours, il attire « treize clercs renommés et savants » ; c’est là que Maître Walter, régent ès-arts, disait à ses collègues et à ses élèves « Prenez garde d’aller à ses sermons : comme une courtisane il polit ses discours de manière à séduire les hommes! » – mais lui-même s’y rendit et fut prit dans les filets… Au Chapitre général on reprocha même à Jourdain de Saxe d’aller un peu vite en besogne et de recevoir de trop jeunes frères : « Laissez ces enfants, répondit-il. Vous verrez qu’ils étendront leur action sur des hommes plus instruits ».

Pendant son généralat, quatre nouvelles provinces furent établies, 240 nouveaux couvents de frères ou de soeurs furent créés. On sait la part importante qu’il prit dans la mise au point des Constitutions de l’Ordre ; comment il institua à Bologne le chant du Salve Regina après les Complies, coutume qui se répandit rapidement en Lombardie, puis dans tout l’Ordre ; comment il procéda à la translation du corps de saint Dominique en 1233, puis présida aux fêtes de la canonisation en 1234. C’est alors qu’il rédigea le Libellus, source la plus sûre pour les historiens de notre bienheureux Père. Cet écrit, dit le P.Vicaire, « est la base de l’historiographie dominicaine primitive. Il l’est par sa date : aucune relation écrite de la vie de saint Dominique ne l’a précédé et toutes les autres dérivent de lui. Il l’est par sa valeur : de tous les récits qu’il inspire, ll est le plus autorisé.. (Jourdain) est maître de sa plume et sait conter avec agrément, brièveté, précision, bonhomie et humour. Des réflexions spirituelles pleines de saveur émaillent sans lourdeur un récit qui marche avec rapidité » (S. Dom. de Caleruega, p.16).

Dans la lutte entre le sacerdoce et l’empire, Jourdain joua un rôle de premier plan. Pacifique par tempérament, il fut intrépide quand il le fallut, n’hésitant pas à aller au camp de Frédéric II pour lui reprocher sa conduite et l’adjurer de mettre fin au scandale que provoquait son opposition.

Pauvre à l’extrême, il aimait la compagnie des pauvres. Doux pour les frères, compatissant à leurs infirmités, il les aidait de tout son pouvoir. Mais il était ferme aussi, parfois avec humour. Un procureur lui ayant demandé d’être relevé de sa charge, il lui répondit : « Mon fils, cette charge a quatre annexes : la négligence, l’impatience, le travail et le mérite ; je vous décharge des deux premières et je vous laisse les deux autres. »

En 1236, il alla en Terre Sainte pour visiter les couvents de l’Ordre qui y étaient établis. Au retour, le navire fut englouti par une furieuse tempête à proximité des côtes de Syrie. La mer rejeta son corps, qui fut enseveli au couvent de Ptolémaïs. C’était le 13 février 1237, il n’avait pas 50 ans. On a attendu jusqu’au XIXe siècle sa béatification. (Source : Chéry, Henri-Charles. Saints et bienheureux de la famille dominicaine. Fraternité dominicaine Lacordaire. Lyon. 1991.)