Saint Albert le Grand (+ 1280)

Selon les conceptions médiévales, Albert, qui avait plus de cinquante ans, était un homme âgé. Il faisait partie de ces prêcheurs qui avaient été attirés à l’ordre et revêtus de l’habit dominicain par Jourdain de Saxe lui-même, successeur de saint Dominique. Cela avait eu lieu en 1229 à Padoue, où Albert – qui n’était déjà plus un tout jeune homme – étudiait à l’université de la ville. Né à Lauingen en Souabe d’une famille de fonctionnaires ou de militaires, c’était un homme circonspect, à qui il fallait du temps pour se former et s’orienter.

Tel fut le cas pour son entrée dans l’ordre. Assez longtemps, il fréquenta le couvent des prêcheurs de Padoue; il songeait à y entrer, mais ne se décidait pas: il craignait de ne pouvoir en supporter les austérités. Il fut persuadé par l’infatigable Jourdain. Albert lui-même a souvent évoqué l’histoire de sa vocation, et Gérard de Frachet, autre prêcheur, en a fait le récit dans sa Vie des frères:  » Il rêva une nuit qu’il était entré dans l’ordre des prêcheurs, mais l’avait bientôt abandonné. En se réveillant, il se réjouit de n’avoir pas pris l’habit de l’ordre et se dit à lui-même: « Je vois bien que ma crainte de devenir frère prêcheur était justifiée. » Mais, continue Gérard de Frachet, ce même jour Albert entendit un sermon de Jourdain qui décrivait précisément le dilemme où il se trouvait et montrait la crainte de ne pouvoir tenir comme une tentation du démon. Le jeune Albert, bouleversé par ces paroles, alla aussitôt après le sermon trouver Jourdain et lui demanda: « Maître, qui vous a fait lire dans mon coeur ? » Et il s’ouvrit à lui de ses projets et de son rêve. Mais le maître de l’ordre lui répondit avec assurance: « Je te promets, mon fils, que si tu entres dans notre ordre, tu ne l’abandonneras jamais », et il le lui répéta plusieurs fois. Sur une assurance aussi ferme, Albert se tourna de grand coeur vers l’ordre des prêcheurs et entra aussitôt au convent. « 

Selon l’usage, il fut envoyé dans sa patrie, l’Allemagne. Il fit à Cologne son noviciat et ses études théologiques, et accéda au sacerdoce. Aussitôt on le nomma lecteur dans différents couvents récemment fondés de la province allemande de l’ordre: car, selon les constitutions, aucun couvent ne pouvait être fondé s’il ne disposait pas d’un lecteur, chargé de compléter la formation théologique des frères (le prieur du couvent lui-même devait suivre les cours du lecteur). Il ne s’agissait d’ailleurs pas de hautes spéculations théologiques, mais plutôt d’un apport théologique à la pastorale. Manifestement il y avait peu de lecteurs dans la province, c’est pourquoi Albert exerça cette charge successivement à Hildesheim, Ratisbonne, Fribourg et Strasbourg. C’est alors -entre 1234 et 1242 -que parurent ses premières oeuvres, entre autres le début d’un Traité des vertus et l’une de ses oeuvres les plus populaires, la Louange de Marie.

En 1242, il fut envoyé par le maître de l’ordre à la faculté de théologie de Paris pour y enseigner en tant que bachelier et y obtenir le grade de maître. Le bachelier, à peu près comparable au professeur assistant d’aujourd’hui, devait faire une année un cours d’Écriture sainte et, l’année suivante, se consacrer aux commentaires des quatre livres des Sentences de Pierre Lombard, alors la plus importante oeuvre de théologie.

Les deux cours se donnaient sous la direction du maître, dont le statut correspondait à celui du professeur d’aujourd’hui. Ayant passé l’examen de maîtrise, Albert se vit attribuer en 1245 une des deux chaires de théologie qui, à Paris, avaient été confiées à l’ordre des prêcheurs. Ces chaires n’étaient accordées que pour trois ans: on désirait donner la possibilité d’enseigner à de nombreux frères qualifiés. Il était d’usage que les cours fussent données dans la  » maison  » du professeur: en l’occurrence, au couvent Saint-Jacques qui se trouva bientôt trop petit, tant les étudiants se pressaient aux cours d’Albert. Quelques-uns de ses collègues, peut-être un peu jaloux, le dénigrèrent comme  » novateur  » : en cela ils n’avaient pas tort, car Albert introduisit dans ses cours la pensée d’Aristote. C’était une entreprise audacieuse: en 1215, le légat du pape à Paris avait interdit de se servir, pour les cours de la faculté de théologie, des oeuvres dAristote portant sur les sciences naturelles et sur la métaphysique. Le pape Grégoire IX avait renouvelé cette interdiction en 1231, mais en même temps avait nommé une commission de maîtres chargés d’examiner la Physique du philosophe antique. Presque rien n’avait encore été fait lorsque maître Albert se mit à l’ouvrage. La tâche cadrait bien avec ses intérêts personnels. Bien que ne disposant que de traductions latines assez défectueuses, il réussit à insérer la philosophie aristotélicienne dans la théologie scolastique.

Il procéda à ce travail avec un esprit libre de préjugés. Il écrit à peu près ceci:  » Nous n’avons pas, dans les sciences naturelles, à approfondir la façon dont le Créateur, selon sa volonté libre, s’est servi de sa création pour faire des merveilles où sa toute-puissance se manifeste; nous avons plutôt à rechercher ce qui peut arriver dans la nature de façon naturelle par la causalité propre aux choses de la nature.  » Ailleurs il dit tout net :  » Je n’ai rien à voir avec les miracles quand je traite des sciences physiques.  » Et c’est à partir de recherches empiriques qu’il se formait une opinion:  » Il faut bien du temps avant de pouvoir affirmer que dans une observation toute erreur est exclue. Préparer l’observation d’une certaine façon ne suffit pas, il faut la répéter sous les aspects les plus divers, afin de pouvoir trouver avec certitude la véritable cause de ce qui se manifeste.  » Cette méthode empirique, aujourd’hui, va de soi: mais c’était une innovation audacieuse, en un temps où, derrière chaque événement naturel surprenant, on supposait aussitôt un miracle, une intervention immédiate de Dieu.

Au cours de ses trois ans de séjour à Paris naquirent les premiers écrits philosophiques d’Albert, début d’une grande oeuvre qui devait l’occuper constamment jusqu’à sa mort. En 1248, il repartit pour Cologne afin d’y diriger le studium generale (ou centre d’études supérieures) de l’ordre. Outre un travail d’organisation, il se consacrait surtout à l’enseignement de la théologie et de la philosophie. Et parmi les étudiants qui, de tous pays, venaient se rassembler à Cologne, il y avait Thomas d’Aquin. Comme il était courant alors, il écrivait les cours du maître, et nous possédons encore de ces notes de cours, difficiles à lire et détériorées car il les emportait partout avec lui. Thomas, dans ses écrits, n’a jamais fait allusion à ce qu’il devait à Albert: une remarque aussi personnelle ne correspondait pas à sa réserve. Mais il l’a souvent cité; mieux encore, il l’a placé, en tant qu’autorité scientifique, au rang des auteurs célèbres de la tradition -et c’est là le plus grand éloge qu’on pouvait faire alors d’un auteur contemporain. Surtout, Thomas a hérité d’Albert cette liberté d’esprit qui devrait aller de soi quand on traite de physique et de philosophie, et qui caractérisait son professeur. Ainsi, Thomas écrivait quelques années plus tard :  » La vérité de notre foi devient la risée de l’incroyant quand un chrétien, ne possédant pas les connaissances scientifiques suffisantes, tient pour article de foi quelque chose qui n’en est pas en réalité et qui, à la lumière d’un examen scientifique approfondi, se révèle une erreur.  » Albert aurait pu écrire cette phrase : elle est née de son esprit.

A la différence de Thomas, Albert avait, entre 1248 et 1274, assumé des fonctions dirigeantes dans l’ordre et dans l’Église. De 1254 à 1257 il fut provincial de la province d’Allemagne qui s’étendait alors dUtrecht à Riga et de Hambourg à l’Autriche. Sa fonction de provincial l’obligeait à visiter les couvents de prêcheurs et de dominicaines, qui étaient alors au moins quarante-cinq. Il commença par rappeler l’obligation pour les prêcheurs de ne voyager qu’à pied et reprit sévèrement un prieur qui s’était rendu à cheval au chapitre provincial. C’est ainsi qu’il se rendait d’un couvent à l’autre, avec son secrétaire – alors qu’il avait plus de soixante ans. On n’a pas conservé de comptes rendus de ces visites, mais deux documents intéressants sont parvenus jusqu’à nous : les observations personnelles qu’il avait faites au cours de ses pérégrinations et groupées sous les titres Livre des animaux et Livre des plantes. Tout ce qu’il rencontrait l’intéressait, et le soir, dans quelque couvent ou hospice de voyageurs, il s’asseyait pour noter ses remarques – par exemple, sur une méduse qu’il avait observée au bord de la mer:  » Une fois tirée de l’eau, elle resta allongée immobile, perdant sa forme, coula comme un blanc d’oeuf et s’effondra. Lorsque nous la remîmes à l’eau, elle y resta un moment sans bouger, puis retrouva sa forme hémisphérique et avança, comme auparavant, par des mouvements d’extension et de contraction. « 

L’événement décisif de ces années fut pour lui un voyage à la cour pontificale, à Anagni, où il défendit devant le pape Alexandre l’ordre attaqué par quelques professeurs de l’université de Paris. Le pape le retint quelques mois à sa cour et le chargea d’enseigner à l’École pontificale: il y donna des cours sur l’évangile de saint Jean et les épîtres pastorales.

Mais lorsque enfin, libéré de sa charge de provincial, il put regagner sa cellule conventuelle à Cologne, ce furent les bourgeois de cette ville qui le firent pénétrer dans la vie politique. En 1252, déjà, il avait servi de médiateur entre les bourgeois et le belliqueux archevêque Conrad de Hochstaden : il s’agissait surtout alors de droit de douane. Lors de ce second arbitrage, en 1257, on en était arrivé à une véritable petite guerre entre la ville et l’archevêque, guerre que celui-ci prolongeait en imposant aux bourgeois des restrictions pour leur commerce et en exigeant d’eux des modifications de leur administration. Il fallut à Albert et aux autres arbitres des semaines d’étude pour voir clair dans ces tractations malaisées, car il n’y avait guère alors de droit écrit et l’on invoquait toujours le droit coutumier. Lorsque enfin on put préciser les limites des droits tant de la ville que de l’archevêque, on estima avoir fait le maximum de ce qui était possible. Les bourgeois furent visiblement très satisfaits du rôle d’arbitre qu’avait joué Albert: au cours des années suivantes, ils lui demandèrent de jouer ce rôle assez souvent, simplement à cause de sa personnalité (car il n’était nullement juriste) et de sa réputation de  » savant universel « . Ces braves bourgeois ne devaient guère, pourtant, avoir lu ses oeuvres.

Il était plongé dans ces questions lorsque le pape le nomma évêque de Ratisbonne (ville libre impériale de Bavière). Son activité n’y fut pas de longue durée, mais les circonstances de cette nomination nous éclairent également sur sa personnalité. Le maître de l’ordre, Humbert de Romans, était depuis quelque temps au fait des intentions du pape et n’approuvait pas cette élection: il écrivit à Albert pour le conjurer de refuser, se fondant sur les décisions de plusieurs chapitres généraux qui n’autorisaient l’acceptation d’une telle charge que dans des cas exceptionnels.  » Qui de nous, qui des mendiants résistera à l’attrait de dignités ecclésiastiques, lui écrivait-il, si vous y succombez aujourd’hui – Ne citera-t-on pas votre exemple comme excuse -Qui, parmi les laïcs, ne se sentira scandalisé, qui ne dira que, loin d’aimer la pauvreté, nous ne la subissons que jusqu’au moment où nous pouvons nous en défaire ?  » Et la conclusion était pathétique:  » Plutôt que de voir mon fils bien-aimé dans la chaire épiscopale, je préférerais le voir au cercueil. « 

Le zèle inquiet d’Humbert de Romans était justifié: qu’un moine mendiant fût évêque de Ratisbonne – et par là même prince d’Empire – il y avait là une contradiction. Mais par ailleurs on peut assurer qu’était justifiée aussi l’inquiétude du pape devant l’état affligeant du diocèse, dont l’évêque n’avait échappé qu’en se démettant de sa charge à un procès imminent pour dissipation des biens d’Église et autres graves abus.

Albert se décida à accepter ce siège épiscopal avec l’intention d’y renoncer dès qu’il ne serait plus nécessaire. En un an il réussit à remettre en ordre la situation financière et, avec l’aide de quelques abbés bénédictins et grâce à des tournées pastorales, à revivifier le service des âmes ~ qui avait été négligé. Pour la population, il était si inhabituel de voir un évêque arriver non en prince d’Empire, à cheval et en cuirasse, mais à pied, en vêtements de laine écrue, chaussé de simples sandales, qu’ils donnèrent à Albert un surnom: le  » porteur de sandales « . Quand Albert pensa avoir trouvé, en la personne du doyen de la cathédrale, un successeur possible, il alla trouver à Anagni le pape Urbain IV, le pria d’accepter sa démisssion et lui suggéra de désigner comme évêque de Ratisbonne le doyen Léon. Le pape fut d’accord sur tout cela. Mais au lieu de laisser Albert retourner à Cologne et reprendre ses commentaires d’Aristote, il le retint dans sa cour d’Anagni, puis l’envoya comme légat pontifical prêcher en Allemagne la croisade qu’on préparait. Pendant trois ans (1261-1264) ce septuagénaire parcourut les régions de langue allemande faisant alors partie de l’Empire. Il n’est rien resté de ces prédications. Mais nous sommes renseignés sur diverses négociations au sujet de fonctions épiscopales, ainsi que sur ses interventions comme arbitre entre évêques et bourgeois, entre religieux et seigneurs féodaux, entre évêques et religieux, et aussi entre couvents.

La mort d’Urbain IV (1264) mit fin à sa charge de légat, et Albert se retira dans le couvent des prêcheurs de Würzburg pour y rédiger son grand Commentaire sur l’évangile de saint Luc. En 1267 il s’installa dans le couvent d’études de Strasbourg, où enseignait son élève Ulrich de Strasbourg. Il est certain que lui-même y donna aussi des cours. Tout comme à Würzburg, il fut appelé à arbitrer des litiges. A soixante-quinze ans, en 1268, il se rendit au Mecklembourg pour aplanir un différend entre la secte des johannites (conférant le baptême au nom de saint Jean-Baptiste) et le duc slave Barnim. Il ne recherchait pas de telles missions de conciliation, préférant servir l’ordre dans le recueillement de sa cellule de Strasbourg. Le maître de l’ordre lui envoya, en 1269, une lettre de remerciements qui se termine ainsi :  » Pour tout cela je te remercie, autant qu’il m’est possible, et te prie de continuer ce que tu as commencé de façon si louable, de telle sorte que ce soit pour toi un mérite, pour les frères un encouragement, pour tous ceux qui en sont témoins un exemple. « 

Cependant lorsque, peu après, le maître de l’ordre lui demanda de se charger pour la seconde fois de la chaire de théologie de Paris, Albert refusa, car il ne voulait plus être mêlé à la querelle suscitée par l’université de Paris: c’est alors qu’on fit appel à son élève, Thomas d’Aquin. Mais il ne trouva pas le repos pour autant: une demande de secours lui parvint de Cologne. Alors qu’il y était comme légat, il avait travaillé à la réconciliation entre l’archevêque Engelbert, successeur de Conrad, et les bourgeois. Mais depuis lors la situation s’était aggravée. Au cours d’une expédition militaire contre la ville et ses alliés, Engelbert avait été fait prisonnier. On le retenait au château de Nideggen, dans l’Eifel. Le légat que le pape avait désigné pour cette affaire avait, sans entendre les bourgeois, pris parti pour l’archevêque et exigé sa libération. N’ayant pas été obéi, il lança l’interdit sur la ville. Pire encore: en août 1270, tout commerce avec les bourgeois de Cologne entraînait l’excommunication. C’était atteindre la ville dans ses sources vives, et le maintien de cette mesure aurait signifié sa ruine.

Au point où l’on en était, il n’était pas question de rendre une sentence arbitrale dans les formes habituelles. Pour le légat, la seule question à envisager était la totale soumission des bourgeois. Albert misa tout sur une seule carte: il se rendit auprès de l’archevêque prisonnier et eut avec lui un entretien personnel, au terme duquel celui-ci consentit à faire la paix avec la ville. Des relations contemporaines et certains des biographes d’Albert exagèrent probablement en parlant d’une  » conversion  » d’Engelbert : il était trop prince d’Empire et trop peu évêque. En tout cas, le paix de Cologne de 1271 rendit à la ville ses droits ancestraux. Le document porte aussi le sceau d’Albert. L’archevêque respecta le traité, et c’était l’essentiel. Mais le légat pontifical tenait ferme à son interdit, qui à vrai dire n’avait plus guère d’effet, car l’archevêque lui-même éleva une réclamation auprès de la curie contre cette mesure. Comme d’habitude, le procès traîna en longueur. Au concile de Lyon, Albert intervint auprès du pape en faveur de la ville: mais ce n’est qu’en 1275 que le successeur d’Engelbert put faire lever l’interdit.

Albert demeura à Cologne, dans le couvent des prêcheurs, où il enseigna et travailla à son Commentaire du livre de Job. Mais appelé en tant qu’arbitre par les corporations les plus diverses, il voyageait constamment. Il fit son dernier grand voyage en 1274 – âgé de plus de quatre-vingts ans – pour se rendre au concile de Lyon et y soutenir la confirmation par le pape de l’élection de Rodolphe de Habsbourg, désigné comme roi des Romains par les princes allemands en 1273.

Ce n’est que les toutes dernières années de sa vie que maître Albert put jouir d’une relative tranquillité. Il dictait, il faisait à l’occasion un cours et à ce sujet une légende se répandit plus tard, quand on chercha à le défendre d’avoir pratiqué la magie et d’avoir été surtout un homme de science et un philosophe  » païen  » : mais le fond de la légende est vrai en ce qu’il traduit l’amour qu’Albert portait à la Vierge Marie. Un jour, disait-on, comme il faisait un cours, la mémoire lui manqua. Alors il raconta à ses auditeurs qu’autrefois il avait eu une vision:  » Ce que je ne pouvais discerner à force d’étude, je le trouvais souvent dans la prière. Je priais constamment la Mère de Dieu, la Mère de miséricorde, lui disant que je voulais être illuminé, grâce à son intercession, de la lumière de la sagesse divine, et lui demandant de garder mon coeur ferme dans la foi afin qu’empêtré dans la philosophie, je n’en arrive pas à vaciller dans la foi au Christ. A la fin, la meilleure des mères m’apparut et me consola : « Sois fidèle à l’étude et persévérant dans la vertu, me dit-elle. Dieu veut par ta science éclairer l’Église. Mais pour que tu ne vacilles pas dans la foi, avant ta mort toute ta philosophie te sera ôtée. C’est dans ton innocence et ta sincérité d’enfant et dans la vérité de ta foi que Dieu t’enlèvera à ce monde. Et voilà le signe qui t’avertira que ton temps est arrivé dans un cours public, ta mémoire t’abandonnera. » « 

Albert consacra les derniers mois de sa vie à prier et à méditer dans sa cellule. Il n’en sortait que rarement, soutenu par son secrétaire Gottfried, pour se rendre sur les tombes de ses frères. Souvent, pour se préparer à la mort, il assistait dans l’église à l’office des défunts. Il ne recevait plus aucune visite. Un témoignage contemporain nous dit:  » Un jour que l’archevêque était venu au couvent pour le voir et avait frappé à la porte de sa cellule, il entendit une voix lui répondre « Frère Albert n’est pas ici. » L’archevêque se retira et dit, les larmes aux yeux: « C’est vrai, Albert n’est plus ici. »  » Il mourut entouré des prières de ses frères, le 15 novembre 1280. (Source : Hertz, Anselm. Nils Loose, Helmuth. Dominique et les dominicains. Cerf, 1987.)